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India Now

Les Rencontres D'Arles Photographie

Pour le 60ème anniversaire de l’Indépendance de l’Inde ...

Pour le 60ème anniversaire de l'Indépendance de l'Inde, les Rencontres d'Arles ne pouvaient pas faire moins que de dresser un premier état des lieux de la création photographique contemporaine dans ce pays. C'est un panorama inédit que nous vous invitons à découvrir, avec l'aide précieuse de Devika Daulet-Singh, actrice indispensable du renouveau de la photographie indienne et directrice inspirée de l'agence Photo Ink.

Un sérieux avis de coup de vent est annoncé sur la photographie en Inde. C'est une bonne nouvelle au regard de la discrétion dont elle faisait preuve jusqu'alors. L'effet de cet appel d'air est d'autant plus sensible qu'il se conjugue aux gourmandises du marché de l'art international et aux besoins d'une presse magazine enjointe de témoigner des rapides changements du pays.

Depuis des années, la représentation de l'Inde, ce pays infiniment photogénique, semblait paradoxalement figée. En proie à la sidération et à l'éblouissement que ce pays engendre, une immense cohorte de faiseurs d'images, voyageurs ou voyeurs, professionnels ou amateurs, pourchassaient une chimère, focalisés sur le pittoresque de sa pauvreté et sur sa saisissante culture vernaculaire. De ses adorateurs, l'Inde « Éternelle » n'exigeait qu'une chose : évacuer du cadre toute trace de modernité.

Depuis le tournant du millénaire, sous l'influence combinée du style documentaire et de la mise en scène photographique, une nouvelle approche gagne du terrain. Aussi bien en Inde que venant de l'étranger, une autre génération de photographes, insensibles à l'opium de l'exotisme, commence à se confronter aux progrès et aux troubles générés par les mutations économiques, sociales et culturelles du pays1.

Aujourd'hui en Inde, la domination du genre photojournalistique, qui était à l'œuvre depuis l'Indépendance, est drastiquement entamée : l'image construite a fait son entrée sur la scène2. Et elle n'a rien à voir avec les savants arrangements des studios populaires (pour la plupart convertis au numérique). Témoignant d'une réflexion engagée vis-à-vis de l'évolution de leur société et utilisant comme matériau leur intimité même, ces nouveaux scrutateurs de l' « ère du vide »3 vont puiser aux sources de leur environnement immédiat : l'individualisme consumériste, la nouvelle prospérité, le territoire urbain, la sexualité, et par-dessus tout, la famille.

Cette nouvelle photographie est le témoin privilégié de l'irrémédiable expansion de la « Westoxication»4, sorte d'orientalisme à l'envers, qui caractérise ce moment de l'histoire du pays. Dommage collatéral : ce changement de perspective renvoie aux occidentaux l'écho de leurs propres errements et de leur désenchantement cathodique.

Pour ces auteurs, pour nous, pour tous, ce regard aura des conséquences durables sur le futur de l'(auto)représentation du pays. L'Inde a longtemps permis à l'Occident de pénétrer dans l'illusion ou l'espoir de ses mondes spirituels. Aujourd'hui, le regard indien change de direction.
L'urgence de documenter et d'interpréter ce tournant historique ébranle le romantisme post-colonial qui convenait si bien à chaque partie. Plus question d'opposer ni d'unir Tradition et Modernité, mémoire et stratégies. Isolés au cœur de ce nouveau champ de bataille d'un Réel encore peu documenté, les regards sensibles et lucides de ces pionniers nous aident à réfléchir. Le miroir est devenu le marteau, comme souvent en photographie5.

Que Ganesh nous vienne en aide !

Alain Willaume
avec Devika Daulet-Singh


1 Voir à ce sujet l'ouvrage collectif India Now conçu par Alain Willaume, à paraître prochainement aux Éditions Textuel (préface de Pavan K. Varma).
2 Après le singulier Umrao Sher-Gil, pionnier du genre dans les années 30 grâce à ses autoportraits distanciés. Longtemps resté dans l'ombre de sa fille Amrita, peintre et icône de l'art moderne indien, il est aujourd'hui considéré par certains comme le premier « moderne » de l'histoire de la photographie indienne. Ses tirages originaux sont présentés cette année à Arles pour la première fois.
3 Gilles Lipovetsky, L'ère du vide, Poche, 1989.
4 Terme cité par Pavan K. Varma dans Le défi indien, traduit de l'anglais par André R. Lewin, Éd. Actes Sud, 2006. Ce terme fut d'abord employé par le sociologue Dipankar Gupta dans Mistaken Modernity qui l'avait lui-même emprunté à l'intellectuel iranien Jalal-e-Ahmad.
5 Allusion à « L'art n'est pas un miroir pour contempler le monde, mais un marteau pour le frapper », célèbre aphorisme attribué à Vladimir Maïakovskij, Bertolt Brecht, Marcel Duchamp, etc.